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Huitième remise du
Prix Poésie21

Remise du Prix de Poésie21 pour l'année 2023 en l'honneur de Lucienne Gracia-Vincent

Le vendredi 12 janvier 2024, en soirée, a eu lieu la cérémonie de remise du Prix Poésie21 dans une salle des Archives patrimoniales où est installée pour l’instant la Fondation Saint-John Perse (Aix-en-Provence). L’assistance fut nombreuse.

​ Le lauréat de l’année 2023 : Teric BOUCEBCI

Mention spéciale décernée à Julie GAUCHER

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Mme Muriel Calvet, directrice de la fondation, présente brièvement le Prix Poésie21 et la Fondation Saint-John Perse pour confier immédiatement la parole aux deux poètes lauréats, exactement il leur est demandé de lire un choix de poèmes tirés de leur recueil et des poèmes de Lucienne Gracia-Vincent.

Teric BOUCEBCI a donné à son ouvrage le titre Mon corps-nuit attend l’aube (éditions Alcyone, -collection Surya, 58 p.) ; il confie au public que son projet poétique s’enracine dans des expériences de vie dans son enfance (alors qu’il pêchait en barque de nuit le long de la cote de Tipaza, ville romaine que célébra A. Camus, avec son ami Nabil avoir vu sa barque recouverte de poissons volants : était-ce normal ? N’était-ce pas une démonstration de la puissance du monde, de son désir de nous émerveiller) et à son adolescence (alors que la bibliothécaire de son établissement scolaire lui donne la tâche de déposer à la cave des livres il y découvre un tas de livres prêt à être jeter. Avec l’accord de celle-ci, il prend deux ouvrages à la belle reliure qui retienne son regard : l’un était les poèmes de Ronsard, l’autre ceux de du Bellay). Il faut ajouter des rencontres et des amitiés avec des poètes et notamment Yves Broussard, André Ughetto, Jean-Max Tixier, Joëlle Gardes, Bluma Finkelstein, Majid Khaoua, Claude Beausoleil et Yves Namur qui préface cet ouvrage.

Alors il est facile de comprendre que son attention s’est portée sur ce type de rencontres exceptionnelles. « La nuit tient une place permanente comme métaphore du chaos intérieur qui ouvre une autre lumière, à l’égal de celle diffusée par les étoiles lointaines », souligne-t-il.  C’est à une véritable herméneutique que nous sommes conviés, l’occasion de recenser la multitude de signes qui nous environnent et donnent à « l’aventure humaine d’aller vers l’infini de l’Univers ». En tant que consultant psychologue auprès de sociétés au personnel important, il inscrit cette démarche de découverte de nos relations avec l’univers dont tout être humain est porteur, malgré oublis et inattentions. En exergue de tous nos efforts pour vivre, il faudrait dire avec lui : « La lumière semble venir de cette lointaine pensée que j’ai oubliée ».

Mon corps-nuit attend l’aube, nous révèle le poète, est construit autour d’un voyage intérieur au sein duquel la symbolique à travers chaque élément tient une place significative mettant en écho l’en-haut et l’en-bas. L’oiseau, capable d'échapper à la pesanteur, de s'élever dans les airs, donc de s'approcher des mystères du ciel apparaît sous trois espèces aux fonctions spécifiques : l’étourneau pour ses dons qui ont fait sa réputation de messager ou de magicien, le rossignol pour ce qu’il évoque de l’amour, la mouette qui se lit l’âme-muette. Les insectes, en relation avec les forces chtoniennes, mettent en avant les ressources nécessaires : l’araignée pour ses capacités créative, la luciole évoquant notre capacité à éclairer dans l’obscurité et la nécessaire transformation intérieur avec le papillon. Dans ce dépouillement nécessaire, il y a une transmutation évoquée par le végétal pour passer de la fleur à l’essence.

Mais aussi à ses yeux significatifs de la création poétique, et plus généralement de signes emblématiques d’une leçon de vie.

Le chant du rossignol appelle le matin,

les brumes s’effacent

 

laissant la trace inassouvie des questions nocturnes

accrochés aux pétales que la rosée dissout.

L’araignée tisse sans cesse

animée de l’espoir

de se nourrir de lune

 

et quand l’humidité

vient s’accrocher aux fils

elle tient là un festin,

quelques étoiles de nuit.

L’appel de la mouette

lancinant et strident,

en écho résonne.

 

Malgré le vent,

le cri résiste.

Tandis que les néons scintillent sur les façades ;

 

la luciole rêve et illumine la nuit.

Julie GAUCHER, qui ouvrit la session, fait sourire d’admiration l’assistance en évoquant son départ des hauteurs de l’Auvergne à cinq heures du matin, le dégivrage de son véhicule, la course sur le quai de la gare de Lyon pour récupérer une correspondance mise à mal par le retard du TER, et sa glorification de quelques cafés pour tenir le coup. Elle a publié en 2022 aux éditions du Volcan (79 p.) un recueil intitulé Et elles se mirent à courir. Il fut délicat, nous confie-t-elle, de passer d’une écriture universitaire (chercheuse à l’Université Lyon 1, elle a publié, entre autres, des travaux sur le sport et les femmes dans la littérature) à une écriture poétique qui nécessite l’engagement d’une subjectivité liée à une mise en exposition évidente. Très jeune, elle découvre la natation, notamment dans les « piscines tournesol », ces piscines en forme de soucoupe volante qui ont fleuri sur l’Hexagone dans les années 70. Mais les femmes n’ont pas toujours eu accès au sport et pour qu’elles puissent pratiquer, il a fallu des pionnières qui ont fait tomber les barrières. Entre préjugés et inadaptations à surmonter, entre regards dissuasifs des autres et bonheurs de joies partagées, sa personnalité s’est formée. Il fallait en témoigner et son recueil s’y voue en s’ouvrant aux difficultés que les femmes ont rencontrées pour être acceptées dans le domaine du sport.

Installée en Libye en 2011 où elle a enseigné le français, elle nous raconte que courir en public fut pour elle l’occasion de voir la violence des réactions de rejet (elle a eu beau couvrir ses bras, cacher ses cheveux sous une casquette, porter une tunique longue, rien n’y fit, les pierres pouvaient voler), mais voici deux strophes émerveillées d’un épisode de son aventure libyenne :

« Nager dans les ruines de Sabratha »

 

« Nous étions seuls dans les ruines de Sabratha

Le gardien nous avait proposé de planter notre tente

Dans un vaste terrain vague

Aux abords du site archéologique

Nous étions seuls et nous avons mangé nos fruits

Sous un ciel allumé d’étoiles

 

L’aube nous a livré le plus beau des spectacles

Ruines offertes

Désertes

Nous avons parcouru silencieux les allées

De Sabratha endormie

Le sable de la plage, soulevé par la brise,

Venait caresser les colonnes de grès couchées,

Dominos effondrés d’un autre temps,

Aucun panneau ne limitait l’accès aux stèles millénaires,

Aux vestiges phéniciens,

Aux temples romains,

- Qui venait dans ces ruines, seulement ? - »


 

Un autre poème (extrait) traduit le pouvoir de la filiation avec les figures sportives dont la poète se sent l’héritière :

« J’ai mesuré ce que je devais à cette femme

Que je n’avais jamais connue :

Elle avait ouvert les portes du stade

A mes aïeules, à ma mère, à mes tantes

Elle avait donné la soif du grand air, de l’effort

Aux jeunes filles d’hier

Qui, à leur tour,

Avaient pris les jeunes filles d’aujourd’hui par la main

Pour les conduire sur la cendrée »

Lecture et Partage et présentation de poèmes de Lucienne Gracia-Vincent

La règle interne à ce prix est de demander à nos lauréats de choisir au moins dans l’œuvre de la poète Lucienne Gracia-Vincent un poème et de le lire.

Julie Gaucher a choisi dans le recueil D’Algérie « Djémila, ville antique » et « Tigzirt sur mer », en écho avec son poème sur Sabratha.

En rappel du poème « Djémila, ville antique » de L Gracia-Vincent, ces extraits

« Djémila rêve, rose, au gré de sa mâture,

Aux premières lueurs de l’aube toute en fleurs, 

A l’abri des sommets teints de mille couleurs,

Habillant ses trésors d’une chaste ceinture !

 

Djémila flambe d’or, au soleil du midi…

 

Djémila s’alanguit, sous les ondes sableuses…

 

Djémile sourit, blonde, aux rayons du couchant…

 

Djémila se sublime, à la clarté lunaire…

 

Djémila pleure, seule, en son cirque lointain,

Qui, sans fin, la retient, fidèle, solitaire,

Inutilement belle, autour de son mystère,

En un site jaloux d’un fabuleux destin ! »


 

Teric Boucebci a choisi dans Provence d’élection « La partie de balle sous les cerisiers en fleurs » en écho avec son souci de privilégier ce qui unit la terre au ciel. Dans Au Royaume d’Aladin, son choix pour partager des racines communes se porte sur « Un port romain d'Afrique ».


 

En rappel du poème « La partie de balle sous les cerisiers en fleurs » de L Gracia-Vincent

« Sous le ciel qu’opalise une prime chaleur,

Avril en fête chante au gré des ailes grêles !

Un parfum de miel naît, dans les corolles frêles,

Âme des cerisiers, couverts de neige en fleur !

….

Un gai bambin s’élance et jette en l’air sa balle :

Elle monte, revient, rebondit sur la dalle,

Ébranle, dans son arc, un manchon de blancheur !

….

Il pleut, sur les enfants, du bonheur, en parcelles ! »


 

« Un port romain d’Afrique »

 

Les vastes quais, navrés de languide paresse,

Espèrent le retour des marchands, des marins.

Vidés de leurs trésors, les abris souterrains,

Reçoivent, de la mer, la fidèle caresse.

La ville, en promenoir, vers le grand large, avance.
Un ensemble figé de fûts de marbre clair,

Qui subit, du flot bleu, l’éternelle mouvance

Offre une chaste lyre aux doigts légers de l’air !


 

Tous deux liront d’autres poèmes de Lucienne Gracia-Vincent en les associant toujours avec leur propre création, preuve s’il en était besoin d’un réel partage esthétique.

Des objectifs et du rayonnement du Prix Poésie21

 

Pour la huitième fois, nous remettons ce Prix fondé en 2016 en l’honneur de la poète Lucienne Gracia-Vincent décédée deux ans auparavant.

 

Vous trouverez sur la table du fond des livres de ma mère à emporter. Rien n’est mieux qu’ils circulent. « Tolle et lege «  « prends et lis » telle fut la devise de Gutenberg ; il la tenait d’un récit fondateur ; nous sommes à Milan, des enfants jouent dans un jardin et chantonnent une comptine « tolle et lege » ; un savant au milieu de sa vie l’entend par dessus la haie ; cet homme est saisi de stupeur, elle est comme un eureka sur ce qu’il doit faire  maintenant ; cet homme est le futur évêque d’Hippone, actuellement Annaba. Quand on tourne les pages d’un livre, malgré la rupture du passage, une clarté se maintient et se découvre ; prenons le cas d’un recueil de poèmes : comme par dessus la haie, quelque chose d’immatériel passe et nous transforme. N’hésitez pas à vous servir. Tolle et lege.

 

Nous sommes toujours extrêmement surpris par la diversité de l’origine géographique de nos candidats et lauréats. Cette année, les envois proviennent des départements 37, 94, 78, 13, 33, 63, 85, 06, 84 mais s’ajoute l’espace de la francophonie et de la francophilie : le Liban, la Suisse, la Belgique, la Tunisie, le Portugal, Taïwan. Bien que les moyens pour diffuser l’existence de ce Prix soient mesurés, le Prix s’est fait connaître.

La lecture de ces différents recueils amène à une réflexion : la poésie est moins chose étrange qu’elle ne sert à des choses étranges. Elle peut servir à traduire des émotions, à évoquer des souvenirs, à défendre des idées, à inventer des situations, à célébrer les mots, à chanter des rythmes… Mais parmi les recueils reçus, certains ouvrent des voies : si j’écris des haïkus, nous écrit l’un, c’est parce que cette forme courte et brisée correspond bien à la fragmentation des rêves (on saute d’un plan à un autre) ; un autre déplie le secret inclus dans la calligraphie arabe ; un autre tisse son poème avec un dessin ; un rythme reproduit le halètement d’un coureur de fond… Nous avons eu de très beaux recueils, soignés quant à l’impression et la recherche de composition.

 

Deux critères aident à un choix pour notre jury :

- un recueil n’est pas un port-folio (on y amasserait des poèmes en vrac et sans rime ni raison) : il faut une progression, un enjeu, un devenir.

- un recueil annonce le suivant ou sa réédition augmentée et corrigée ; un horizon d’écriture doit s’ouvrir et non se fermer sur ce qui vient d’être édité ; il faut une perspective de recherche future.

 

Nous suivons d’ailleurs l’évolution de nos lauréats précédents et, sur huit ans, la plupart ont continué à publier, moins par monomanie que par maturation d’une nécessité interne.

 

Concluons aussi par ce critère essentiel : dans le cadre d’une exposition dans un musée ou dans une galerie d’art, le jour du vernissage bien du monde est présent, puis, les jours suivants, le silence s’installe, on est dans l’absence de tout regard. Alors le vrai succès, celui qui doit être escompté du galeriste ou de l’artiste, tient, à mon sens, à cette réalité : il suffit qu’une personne au moins ait eu envie de revoir l’exposition, qu’au moins une personne soit revenue la voir ou mieux soit venue la revoir… A ce moment la partie est gagnée.

On est loin des pratiques consuméristes de l’homo festivus que nous sommes devenus, où, selon l’expression utilisée, « on fait un musée » comme on a fait l’Egypte, l’Islande, ou la presqu’île du Kamtchaka.

 

Nous avons lu les poèmes envoyés, nous les avons relus. Notre souhait est que les recueils de nos lauréats connaissent ce sort enviable ! Nous n’en doutons pas. Tolle et lege.

Echange d'une année à l'autre

Notre règle interne veut que le lauréat précédent a le devoir d'écrire un texte pour le lauréat suivant. Nous nous sommes donc tournés vers Jacqueline Bouchet et Nour Cadour, nos lauréats 2022 qui ont bien voulu écrire ces deux beaux textes en l'honneur de notre lauréat 2023.

Pour Téric Boucebci, de la part de Jacqueline Bouchet

« Nul besoin de le crier »

A voix douce mais pénétrante, souvent envoûtante, Teric Boucebci nous emmène à sa suite sur le fil léger où, de poème en poème, nous tentons d’accompagner le « parfait acrobate » jusqu’en ses plus complexes oscillements, faisant nôtre, à son invite, sa quête d’aube et de lumière : « Lentement, nous avançons… »

Nous avançons sur la pointe des pieds, avec la prudence de celui qui, inlassablement, « tente », avec la légèreté de qui se garde d’imposer, qui invite à « effleurer pour ne pas marquer ». Nous avançons, conjurant la peur du « voyage », car il n’est de vraie vie que dans la marche

 

« Ici nos pas tentent de nous maintenir droits ».

 

Loin de la ville où les « murs scellés » empêchent le partage, enferment dans l’immobilité d’un étouffant isolement, nous nous arrêtons avec le poète, pour contempler la nature, non pas dans ses paysages grandioses ou pittoresques mais dans ses manifestations les plus modestes, parfois minuscules, pour y trouver l’expression de la vie dans son mouvement propre, dans sa germination et ses promesses :

« La fleur perce la terre et s’ouvre aux douceurs du vent qui apaise son appétit de vie »

Le végétal donne sa leçon d’espérance à « ceux qui s’émerveillent de la beauté simple du monde », il nous invite à nous abandonner à l’élan vital, à voir dans les « fleurs de printemps » la « promesse de fruits ». Les oiseaux, eux aussi, encouragent, de tout leur dynamisme, celui qui « attend l’aube » :

 

« Le chant du rossignol appelle le matin ».

 

Il faut bien la vigueur de ces chants pour assourdir et parfois faire taire la basse continue d’une lancinante inquiétude, la hantise de la nuit porteuse des angoisses qui empêchent de vivre. Dans le format d’un sobre poème de trois vers, on croit voir éclater la fulgurance d’une crise, retombant, de manière très baudelairienne, dans la pesanteur du silence

 

«  Dans ces nuits peintes au bleu d’une âme perdue

s’égare un trait électrique, noueux, furieux

 

Dans un bruit sourd le silence se fait ».

 

Cette nuit, prison de l’âme, dans laquelle l’enferment  les volets qui claquent, « refermant les fenêtres sur le jour », se nourrit de la conscience douloureuse de la labilité de l’être et du temps qui passe, «nuit après nuit » :

«  Au rythme de la clepsydre / le temps m’efface »

Il est pourtant une ressource pour tenter d’échapper aux ténèbres, pour faire briller  cette « bribe de lumière » à laquelle le je se sent réduit : elle tient en un mot, « partager », elle se décline en

 

« Une poignée de main

un regard amical

une parole donnée,

signes d’humanité. »

 

Alors « la voix du rossignol /couvre le bruit du temps », les rides ne sont plus signes d’usure mais d’ « histoires insoupçonnées », et il y a « une éternité dans le sourire d’un enfant ». Alors la nuit se fait « prélude au départ », dans l’obscurité de l’attente, le poète nous tient la main et nous montre comment repérer « Dans le crépuscule,/l’infime clarté » et « Dans l’ombre bleue »… « les lampions/blancs », comment retrouver la lumière, la vraie lumière du ciel et non pas celle factice des néons qui ne « scintillent » que « sur les façades », et ainsi, telle l’araignée dans sa toile, faire un festin de « quelques étoiles de nuit ».

« Le papillon s’éveille de sa chrysalide vieillie de /l’attente/ et déploie ses ailes à la lumière naissante ». Si ces vers reprennent avec la grâce d’une image l’assertion mise en exergue du recueil, « L’homme se fait de se défaire » , amplifiant en une apothéose cette victoire des forces du jour sur la nuit, ils renvoient, semble-il, aussi, à la figure et à la vocation du Poète souvent mise en scène au fil du recueil : « j’écris…je nourris ma plume…Et plonge le calame dans le noir profond »…Un poème fait d’injonctions à l’infinitif , tel un art poétique à la Prévert, préconise : « Ne rien dire / Juste regarder l’eau qui coule,/l’arbre qui ploie sans en entendre le craquement ». Mais le poète n’est pas seulement le témoin du monde, il est aussi celui qui force les apparences et veut « dire les liens et tenter de dénouer /l’explicite ». Avec des accents parfois rimbaldiens, Téric Boucebci évoque cet autre voyage qui double sa quête existentielle et la nourrit, celui qui l’amène au-delà du visible. Nous entendons la ferveur d’un « Voyant » : « sous la terre, les racines et les sons devenaient/ familiers, / j’ai senti les vents respirer pour le monde » ou encore « le bruit secret des mouvements du ciel m’invite /à l’éveil ». « Jour après nuit », près de sa Muse, le poète devient créateur, « libéré du sens », il « nomme » le monde et le tatoue de ses mots. Par le verbe, il « traverse l’espace et défie le temps ».

Au terme de ce cheminement à l’écoute de Téric Boucebci, notre esprit reste habité par le scintillement de cette lumière vers laquelle il nous guide, celle d’une sagesse, d’un humanisme fondé sur l’attention bienveillante au monde et à l’autre, source d’éveil et d’espérance par-delà la nuit. Avec le poète, nous aimerons dire :

 

« Il est si simple d’être en vie ».

 

Jacqueline Bouchet

De la part de Nour Cadour

 

Mon corps-nuit attend l’aube, Teric Boucebci, éditions Alcyone  

« J’écris sur les souffles de ta peau 

A l’ombre de l’olivier 

Les jours de soleil bleu 

Quand sa seule trace s’efface sous les morsures de midi » 

 

Voilà le cadre où nous projette le grand poète Teric Boucebci à travers ses vers. Un lieu idyllique où les mots détonnent au sein d’une nature peinte du regard du poète. On se sent transporté par dans un univers accueillant, éblouissant, apaisant et réconfortant « où la pierre brûle ». Dans un voyage où « j’ai senti les vents respirer pour le monde ».  

Mais ce n’est pas là l’unique force de ce recueil. Les lettres posées entrent dans une démarche de réflexion qui nous invitent à la philosophie. La place de l’homme au sein de ce qui l’entoure, mais aussi sa propre place en tant qu’objet d’existence : « Nous sommes des passants faits de mots ». 

L’amour est présent à chaque ligne, chaque mot qui se pose. Il enlace le quotidien et le présent. L’amour a le goût du partage, de la tendresse, de la sensualité, tout en s’ancrant lui-même au sein d’un environnement naturel nomade :  

« Mon désert dans ta main,  

Quelques noyaux de dattes en attente d’une oasis ». 

 

Teric Boucebci porte ses mots avec passion et les transforme en des chants d’amours et d’espoir. Des remèdes indispensables au monde actuel qu’on devrait recevoir sans restriction. 

 

Nour Cadour

Et elles se mirent à courir, Julie Gaucher, édition du Volcan

 

Julie Gaucher, dans son recueil, remet les femmes à l'honneur. Sous une plume très délicate et poétique, nous redécouvrons le plaisir d'émerveillement, de partage et de courage dans la vie quotidienne, mais aussi et surtout le domaine du sport. Ce recueil est un voyage au pays des corps libres, une invitation à flotter dans les eaux incertaines du changement, de la maladie parfois.

.Comme le rappelle le résumé "Les femmes courent, nagent et n'ont pas attendu d'avoir la permission pour vivre « en corps » , on est emporté par l'originalité du propos, la qualité d'écriture tout en mettant en perspective l'expérience intime et personnelle de la pratique physique à l'aune de l'histoire du sport au féminin. C'est un vrai bijou.

Partage et présentation

Yannick Resch, membre du jury et qui fut la première à recevoir le prix, est venue exposer le parcours artistique de nos lauréats.

Son analyse fine et délicate conduit à spécifier l’ouvrage de Teric Boucebci, ce périple intérieur dont les étapes sont consolidées par de minces fils (arachnéens) liant le voyageur à l’univers pour des rapprochements inattendus. Poème après poème, la métaphore l’emporte et nourrit le déploiement de la lumière naissante.

Puis elle porta son regard sur Et elles se mirent à courir de Julie Gaucher, notant tout ce que ce poète nous apprenait sur le sort peu enviable des femmes dans le domaine sportif (la première à courir le marathon n’eut-elle pas son dossard arraché par un de ces hommes - nombreux à l’époque - refusant aux femmes le droit de courir le marathon). Son recueil exprime le bonheur d’une conquête sociale, la vérité quant aux possibilités des femmes, la sororité qui s’en dégage au nom des valeurs collectives qui nous sont nécessaires.

Voici son discours prononcée devant les poètes et l’assistance :

Teric Boucebci Mon corps-nuit attend l’aube

 

Une vie en poésie par :

- des participations à des lectures, des rencontres des festivals poétiques

- des organisations de manifestations poétiques tel le Printemps des poètes à Alger en 2003

- la cofondation de la belle revue Phoenix

- un travail de poète par la participation à des anthologies, et ouvrages de poésie que double une écriture en prose de contes et romans

 

A travers ces multiples activités, un objectif, faire rencontrer connaître les poètes, une aspiration à faire circuler la poésie

 

Mon corps-nuit attend l’aube

Un titre ouvert sur un faisceau de thèmes : le corps, la nuit, l’aube, le temps, l’espace, faisceau qui entraîne le lecteur dans un voyage personnel

la nuit est ce prélude au départ

Chacun est à quai en attente du voyage

que certains n’osent penser/ de peur d’être

 

Nous avons aimé la forme libre, brève des poèmes, où, sans débordement lyrique, l’écriture inscrit l’émotion de la relation à autrui.

Tel ce quatrain :

une poignée de main

un regard amical

une parole donnée

signes d’humanité (p.18),

ou cette évocation à la femme aimée

tes yeux sur ma peau

lisent les mots muets (p. 52)

 

En tant que poète j’ai été sensible à la respiration du poème sur le blanc de la page, à la visibilité du silence qu’il introduit et à l’intensité qui en résulte. Poème qui peut se réduire parfois

à un seul vers, un monostiche

seul le vent connaît le chemin ou la nuit s’est perdue dans le ciel

un distique 

mon désert dans ta main

quelques noyaux de dattes en attente d’une oasis

un tercet

en quelques mots dans le vent

après silence

une vie

J’ai aimé l’imbrication du corps et de l’écriture, des traces qui en résultent : chacun chemine vêtu d’une peau de mots

corps qui écrit, nous sommes des passants faits de mots

corps écrit peau tatouée peau usée/devenue mémoire

 

J’ai été très sensible à une poétique de l’éveil, de l’homme comme de la nature toute entière : chant du rossignol, envol du papillon sortant de sa chrysalide, bruits secret des mouvements du ciel

une écriture qui nous offre dans cette traversée de la nuit et des mots un constat comme une évidence, « il est si simple d’être en vie »

 

**

 

 

** Julie Gaucher Et elles se mirent à courir  agrégée de lettres modernes et chercheuse en histoire du sport, auteur d’un essai, Ballon rond et héros modernes.

Elle se passionne pour l’histoire du sport et de l’olympisme mais aussi de celle des femmes sportives auxquelles elle a consacré une thèse intitulée Sport et genre : quand la littérature s’en mêle : féminités et masculinités dans l’écriture littéraire du sport (1920-1955).

L’expertise sur le sujet et la vie de sportive sont mises au service d’une écriture personnelle et poétique de la femme et du sport.

Le jury a salué l’originalité du recueil composé de trois parties (courir/nager/dans les gradins) par le sujet qui l’inspire. Le sport n’apparaît guère dans les livres et recueils comme thème poétique, pas plus qu’il n’est traité dans une perspective féminine et féministe comme nous y invitent le titre et l’hommage de quelques poèmes aux femmes pionnières

 

J’ai aimé une poésie « habitée » par un « je » qui cours nage, souffre dans son corps de femme, de future mère, de malade ; qui s’incarne dans une écriture du corps féminin aux différentes étapes de la vie.

Un « je » très charnel qui transmet sans pathos ses souvenirs, ses émotions, ses sensations, odeur de corps en sueur, de chlore, sensations l’apprentissage de l’effort, la découverte au-delà de la compétition, de la solidarité de la sororité et un rythme, un mouvement emporte le lecteur, qui donne envie de lire le texte à voix haute. Je suppose que tout sportif ou apprenti sportif se reconnaîtra dans cette écriture du corps en mouvement :

j’écris comme je cours

j’écris parfois à en perdre haleine 

j’écris et je cours en laçant mes runnings c’est une plume que j’aiguise

je la trempe à l’encre des sentiers que je foule

Le rythme est donné par l’importance de l’anaphore ou de l’épiphore reprise de fin de strophe : « quand bien même je cours » «  ce n’est après tout qu’une compétence régionale »

 

« Habité », le poème l’est par la présence de souvenirs colorés, vivants, singularisés par un détail qui fait mouche tel celui de la piscine nommée tournesol qui « s’ouvrait parfois en mai, toujours en juin comme une fleur/posée au milieu des tours », le vestiaire des filles où les nageuses au fil du temps ne font plus attention à la nudité et à leur différence pour découvrir ce qui les rapproche « on devient femme surtout, on devient sœurs »

 

 

 

Le lien s’est fait pour moi à la relecture des deux recueils. Ils sont, dans le pessimisme ambiant, du côté de la vie de l’intense, de la présence à soi et au monde.

 

Yannick Resch

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