Cérémonie de la quatrième remise du
Prix Poésie21
Discours de remise du Prix de Poésie21 du 8 novembre 2019
en l'honneur de Lucienne Gracia-Vincent
Informations sur le Prix "Poésie21"
Le nom retenu
Le prix Lucienne Gracia-Vincent est devenu le « Prix Poésie21 en l'honneur de Lucienne Gracia-Vincent » ; 21 signifie XXIème siècle. Ce changement de nom nous est apparu essentiel pour deux raisons : il faut penser 21ème siècle alors que nos références et images renvoient trop encore au siècle précédent, à ses guerres mondiales et ses essors économiques ; 21 est une façon d'honorer la poésie de Lucienne Gracia-Vincent, car sa poésie se prononce pour un avenir, parce que son ancrage dans la prosodie classique amène à une réflexion sur la mouvante ligne de séparation entre tradition et nouveauté. Ce qui était nouveau a le droit de se démoder, ce qui était ancien possède des possibilités inexploitées.
Le trophée
Parmi les autres changements, l'existence d'un trophée que nous allons remettre aux deux lauréats pour la première fois. Ce trophée est réalisée à partir d'une sculpture d'Y. Le Mahieu dont le titre est L'Ombre du Minotaure. Donner une forme en 3 D à une ombre, celle d'un être imaginaire et mystérieux enfermé au fond d'un labyrinthe, nous paraît signifier l'essence de l'art poétique : le poème va au coeur des ténèbres s'emparer d'une présence éphémère et énigmatique. Il est bon de se rappeler la formule du poète Ph. Jaccottet parlant de la poésie comme « d'une façon de parler du monde qui n'explique pas le monde, car ce serait le figer et l'anéantir, mais qui le montre tout nourri de son refus de répondre, vivant parce qu'impénétrable, merveilleux parce que terrible ».
Nous remercions Y. Le Mahieu de nous avoir permis de reproduire sa sculpture, grâce aux bons soins d'Y. Bonnet, jeune entrepreneur d'une société d'impression en 3D (la ICPS : Ingeniery-Conception-Prototypage-Service) dont l'activité va des maquettes pour Iter jusqu'aux moulages pour les musées. Il aura en plus à ajouter à son activité la fabrication d'un trophée pour un prix de poésie !
Le dépliant
Vous trouverez également un dépliant à votre disposition. Ce dépliant doit servir à la promotion du Prix. Prenez-le, faites le dédicacer par nos lauréats, ce soir, il n'en aura que plus de valeur. Il a été conçu par le secrétaire de la Fondation Saint-John Perse, Romain que je salue de tout coeur, ainsi que Jade, autre acteur de la Fondation, tous deux indispensables à notre Prix.
Une émission radiophonique (Radio Dialogue)
Mme Elisabeth Marchessaux échange avec M. Guy Vincent surl'origine du prix et sur les lauréats de cette année.
Echange d'une année à l'autre
Le lauréat précédent a le devoir d'écrire un texte pour le lauréat suivant. L'an dernier, Michel Gravil, pour son recueil Ecrire l'eau, le vent, le ciel, publié aux Belles Lettres, avec des dessins de Fr. de Asis (auquel nous devons les oiseaux de notre affiche) a bien voulu se plier à ce petit exercice qui a pour but de favoriser entre nos poètes un moment d'inventivité augmentée : leur sensibilité s'augmente de celle d'un autre poète, il se forme des prolongements. Nous ne disons pas échange, partage, dialogue, relation, termes trop galvaudés de nos jours pour avoir un sens, mais prolongement, presque prothèse. Quand les poèmes de l'un deviennent l'occasion pour un autre poète d'écrire son poème, de se relire, de poursuivre un mouvement initié ailleurs…
Voici ce qu'écrit Michel Gravil à propos de nos deux lauréates. Je vous en donne lecture seulement d'un passage de son analyse portant sur le recueil de S. Bernard et de M. Hartmann :
« Une des difficultés principales à laquelle se trouve confronté quiconque cherche de l’inconnu, en poésie ou en peinture, est la question de savoir si la figure doit éclater au profit d’un réel qui serait de l’ordre de l’irreprésentable, ou bien s’il faut la maintenir comme condition de toute intuition. Une composition véritable peut-elle vraiment faire l’économie de la figure ? Ce qui est certain, c’est qu’un poème ne peut exister que sur le mode de son propre péril, qu’en prenant congé de lui-même, qu’en faisant de la contradiction même un moteur au lieu d’en faire sottement un obstacle. De là l’éclatement apparent du sens, de la syntaxe, de la logique, de là le dépassement surtout principe de non-contradiction, qui veut qu’on ne puisse dire en même temps d’une chose qu’elle est et qu’elle n’est pas. Pour le poète, c’est non seulement possible, mais c’est la seule voie : " Écoutez, dit Rimbaud. Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un. "
Tout le XXe siècle s’est évertué à détruire la forme, la figure comme un résidu chosiste qui ferait obstacle à la saisie d’un réel conçu, justement, comme irréductible à toute formalisation. La figure serait alors un artifice, une construction arbitraire, un signe aussi défavorable pour juger une œuvre qui n’aurait pas été capable de s’affranchir de la figuration pour se risquer aux abysses d’un inconnu radical et situé au delà de toute figuration.. En réalité cette thèse a elle-même ses limites…», et il ajoute plus précisément à propos de la peinture de Miriam Hartmann :
« voilà toujours ce qui me frappe à la vue des œuvres de Miriam Hartmann : le courage de maintenir une forme, un art de la composition dans un ensemble qui évidemment les transcende pour produire le sentiment vrai de la peinture, celui qui vous bouscule, qui vous fait voir ce qu’on ne voit pas, qui vous mène à de l’inconnu sur le mode, paradoxalement, d’un certain rapport à la forme ou à la figure. "Les fleurs" sont à cet égard pleines de cette étrangeté qui fait la marque des grandes œuvres. »
Les Lauréats 2019 reçus à la fondation Saint-John Perse
La directrice de la Fondation, Mme Muriel Calvet leur adresse ses félicitations, remercie l'assistance et présente le déroulement de la soirée qui commence par une lecture de poèmes de Lucienne Gracia Vincent.
Le jury expose en quelques mots comment s'est faite la délibération. Tous les poètes qui ont concouru bénéficient d'une critique dont ils pourront se servir pour leurs publications. Ils nous ont fait confiance, par leurs envois, nous voulons être à la hauteur de ce qu'ils nous ont offert.
Qui sont donc nos lauréats de cette année ? Nous avons voulu, cette année, innover encore et encore. Nous offrons le Prix Poésie21 ex aequo à une poète-musicienne, à une poète-peintre, et nous accordons une mention à un poète-paysan. L'association des termes fait sens : il y a un recueil-leitmotiv, un livre d'artiste, un port-folio rural.
Sophie-Renée Bernard est née en Charente Maritime, a une formation philosophique, et une passion pour la musique (le chant, le piano, la harpe celtique). Son recueil a pour titre Pèlerinages de la chèvre aux éditions Christophe Chomant (Rouen). Nous avons aimé ses poèmes pour son sens des intimités. Ce ne sont ni les êtres ni les objets que l'on doterait de sentiments, c'est la grâce d'un moment, une coloration délicate du monde, la poursuite d'un rêve, dont le nouage forme une intimité.
« Vos yeux, vieillard,
hébétés de mémoire,
vos yeux faits de roches
autant que de nuages
Yeux-lacs en saillie
de ce qui passe,
le vent labile sur le névé gris,
le vent qui râpe sa moelle,
et l'auréole brusque des orages…
Yeux-lacs, alors
caboche des fleurs dressées
quand vers eux montent
les verveines
et un soir calme d'hiver
Les yeux du vieux berger
ce soir-là, noirs de mémoire
et d'inquiétude » (p.67)
Ouvrages disponibles sur commande chez :
Christophe Chomant Editeur Imprimeur et Façonnier
16 rue Louis Poterat 76100 Rouen
0235077124
Isabelle Chomet accompagne à la guitare les poèmes de Sophie Bernard. Vous entendez de Robert de Visée Le Tombeau de Mr Francisque, extrait de l'album A la cour de Versailles.
Miriam Hartmann, notre seconde lauréate, est née à Kiel (ville portuaire allemande proche de Danemark), a joué enfant dans la maison du peintre expressionniste Emil Nolde dont les œuvres étaient à l'abandon dans sa demeure, a un Cap de menuiserie et a suivi des études de théologie protestante. Sa galerie de peinture (Galerie À) est à Aix, dans la rue Loubon. Son recueil porte le titre Outre soi, c'est-à-dire ce qui advient lorsque l'on quitte son moi, ses désirs, quand on voit le monde comme une série de points de rencontre, entre deux mouvements, celui qui pousse hors de soi, vers le monde et celui qui vient du monde se manifestant en paysages et spectacles. Son recueil est fait de toiles et de notations prises à son carnet de voyage. C'est un livre d'artiste, en peu d'exemplaires.
« Dans la nuit du port fluvial la raison se décompose
Nos lucidités fragiles se laissent emporter
Aux abords des quais suspendus et en plein vol
Une muette folie cherche sa délivrance dans la libération du chaos
Rendre le spectacle du monde lui donner des mains
Qu'il crie »
Article de la Provence
et elle retient cette phrase d'Emil Nolde : « Als Kind, in seinem Haus das Museum ist, war ich angerufen von der Kraft der Farben und der Schönheit im Wilden » (Quand j'étais un enfant, j'ai été appelé par la force des couleurs et la beauté dans son état sauvage, dans la maison d'un enfant il y a un musée).
Notre mention, enfin, est allée à Michel Boudaud pour Demain sans doute il fera beau. Vendéen, de Saint Hilaire de Loulay (combien est forte lapoésie des noms de nos villages !), cet homme a labouré, ensemencé et moissonné, il a été paysan et a vécu de sa terre. Mais la poésie fut liée à sa profession, parce qu'elle travaille le langage et la pensée, laboure des terres imaginaires, a été sa compagne. Michel Boudaud a œuvré pour la promotion de la culture en milieu rural, a retrouvé les lettres de ses ancêtres partis au front en 1914. Il s'est fait chanteur, a enregistré, chante ses poèmes qu'il accompagne de la guitare. Ce monde rural, si malmené de nos jours, trouve en ses poèmes une noblesse et une grandeur incroyables.
« Il aura tracé
Tant de sillons dans son champ
Des ornières dans le vent,
Creusant de sa voix
L'air qui portait aux chevaux,
Pour qu'ils marchent droit,
Des charretées de gros mots » (Le Laboureur, p. 51)
« Et oui doucement, dénouer nos mains
Enfouir dans nos yeux une âme qui doute
Au fond des chalands, le charbon des soutes
Se fait petit quand le feu s'éteint
Quelques clapotis, au dormant de l'eau,
Y avaient brodé des ourlets d'écume…
Si bien que sachant nos pas quotidiens,
Tantôt divergents, tantôt parallèles,
Selon les humeurs de rives jumelles,
Nous sommes encore à portée de mains… » (Brumes, p. 40)
Article de l'Association des Ecrivains et Artistes Paysans (AEAP)
Nous félicitons nos trois lauréats de tout cœur.